Ils sont si heureux, ses parents.  Tellement amoureux, tellement unis alors que le petit Ezekiel pousse son premier cri sur Terre : la symbiose parfaite de deux êtres ayant créés la vie, dans sa plus belle complexité. Son frère Audric, lui, le regarde avec des yeux ronds. Il est plus âgé, du haut de ses 7 ans, un vrai petit homme qui voit un bébé serrer son doigt de toute ses forces. Il l'aime déjà : il sait qu'il sera son compagnon de jeu, son confident, celui sur qui il pourra compter, quoi qu'il arrive. 
Londres grouille de monde, indifférente de compter une nouvelle âme en son sein. C'est le soir, et on peut entendre le dernier single des Eagles retentir à travers la fenêtre, comme une prémonition sur l'homme qu'Ezekiel deviendra. Bonjour, le monde.

Si Zeke a grandi pour devenir un petit garçon plein de vie, qui n'arrive pas à tenir en place plus de cinq secondes, Audric, lui, est un adolescent silencieux. Peut-être que c'est parce que leur père est parti quand il avait 9 ans, peut-être que c'est la profession bien peu orthodoxe de sa mère, peut-être que c'est la compagnie de ce petit frère qu'il ressent comme un boulet à sa cheville. Car Zeke est loin d'être ce qu'il a imaginé enfant. Il se fiche des livres, des sciences, des origines de la magie. Il n'a que faire de ses poèmes et de ses questionnements existentiels sur la vie. Zeke ne semble vivre que pour l'embêter. Il enchaîne les bêtises, dort pendant des heures pour mieux se réveiller en criant, et dessiner sur ses romans préférés. Il est bien loin, le temps où celui qui a été réparti à Serpentard pensait que le dernier né des Wolfe serait son meilleur ami... Ils passent leur temps à se disputer, véritables chiens et chats. 

Zeke souffre de cette distance qui s'est installé entre son frère et lui. Il ne peut comprendre sa rigidité, son sérieux, son envie de calme. Sa mère non plus n'est pas de très bonne compagnie : elle l'aime, bien sûr, de toutes ses forces, de toute son âme, mais elle est et restera une main de fer dans un gant de fer. Elle passe son temps à lui crier d'arrêter ses bêtises. Alors, il se tourne vers quelqu'un d'autre. 

L'appartement des Wolfe est située juste au dessus de la maison mère de "Death and Company", l'agence d'exorcisme du Chemin de Traverse, à deux portes à peine d'Ollivanders. Il y traîne toute sorte d'artefacts hantés par des esprits plus ou moins sympathiques, les plus dangereux enfermés, bien sûr, par des sortilèges lancés par la mère de Zeke, abandonnés par des clients lassés de devoir supporter des présences spectrales constantes. Le petit garçon joue avec les fantômes. Il leur parle, leur raconte des histoires, fait des petits spectacles devant eux. Les esprits sont assez bienveillants à son sujet : peut-être leur rappelle-t-il l'éclat de vie qui les habitait avant, et qu'ils cherchent désespérément à retrouver, sans jamais parvenir à le toucher du doigt.

Elle s'appelle Magdalene Fairchild. Elle est morte en 1665, lors de la Grande épidémie de peste. Et du haut de ses sept ans, avec tout le coeur qu'un enfant est capable de donner, il est fou amoureux d'elle. C'est toujours vers le peigne d'argent qu'elle hante qu'il se tourne en premier, pour raconter sa journée ou montrer sa dernière création en pâte à modeler. Il la trouve si belle, avec ses longs cheveux qu'il imagine noirs comme la nuit, ses cils qui encadrent des yeux qui étaient, dans son esprit, d'un bleu lumineux, sa robe d'un autre temps qui ceint ses formes généreuses. C'est un fantôme, mais il s'en fiche. L'innocence d'un enfant ne peut être piétiné, alors, elle laisse perdurer cet amour naïf, acceptant ses dessins qu'elle ne pourra jamais toucher, ses câlins qui la traversent aussi aisément que de la fumée.

Il a tant entendu parler de Poudlard, comme tous les enfants de sorcier. Ses pas résonnent sur les dalles froides, et il se sent bien intimidé alors que le professeur McGonagall se reprend par deux fois pour prononcer son prénom. La sorcière sourit en y ajoutant son nom de famille. Elle a bien connu le frère de cet "Ezekiel", peu importe comment ça se prononce : il était le meilleur de sa classe en Métamorphose. Le Choixpeau magique délibère pendant de longues, longues minutes. Les élèves assis commencent à s'ennuyer, et lorsque, finalement, l'artefact magique laisse échapper un "Poufsouffle" sceptique, les élèves s'exclament surtout car le moment du repas se rapproche enfin.

Il va s'asseoir, se fait accueillir par ses camarades, accepte les hourras et les bravos. Il se sent bien, entouré des jaunes et noirs. La cérémonie continue, et d'autres noms bien étranges se font entendre. Gersende. Galaad. Les parents se sont donnés le mot, ou quoi ?  Il regarde ses camarades aux patronymes aussi exotiques que le sien et pose un petit sourire sur son visage. Il doit devenir ami avec eux, il le sait. Il le sent.

L'amour enfantin qu'il ressentait pour Magdalene est toujours présent : mais Zeke a grandit, et ça n'en est que plus dérangeant encore. Il a 13 ans et sait parfaitement que ce qu'il ressent est tabou, sans espoir que ces sentiments ne soient jamais réciproques, mais il ne peut s'en empêcher. C'est doux et chaste, et ça ne l'empêche pas d'avoir toute sorte de coups de cœur pour n'importe qui lui adresse un sourire. Il a même un premier petit ami, prénommé Justin, mais ce n'est pas pareil. Il l'aime, mais il ne peut s'empêcher de penser au fantôme, à chaque fois qu'il s'apprête à s'endormir. A imaginer l'odeur de ses cheveux lorsqu'elle était encore vivante, la douceur de sa peau. Avec Justin, c'est plus... traditionnel, plus stable. Magdalene, c'est une passion brûlante qui menace de le consumer.

Les trois élèves de Poudlard sont devenus inséparables. Ils ne sont peut-être pas dans la même maison, et sont aussi différents et dissemblables que l'eau et l'huile, mais ça ne les empêche pas d'être les meilleurs amis du monde. Gersende, Galaad, et Zeke. 
La première est la maman du groupe. D'apparence sévère, effrayante lorsqu'elle s'énerve, mais aussi rigoureusement loyale, c'est la seule qui a un tant soit peu la tête sur les épaules.
Le deuxième est le plus sensible, le plus fragile, aussi. Un peu trop timide, un peu trop renfermé, mais aussi absolument adorable, Zeke ressent le besoin absolu de le câliner à chaque fois qu'il le croise.
Enfin, le dernier vient compléter le tableau, toujours aussi chaotique, paresseux, et sans limite. C'est lui qui, bien sûr, les embrigade dans sa dernière lubie : créer un groupe de rock, qui, sans surprise quand on connait le loustic, s'appellera les Chicken Nuggets.

Ce n'est pas facile de réunir les instruments, trouver des endroits pour répéter. Combien de fois se sont-ils fait chasser d'un coin de couloir par un Rusard en colère, excédé par le bruit infâme qui sortait de leurs amplis, grésillants à cause des ondes magiques alentour ?Peeves fut, cependant, un allié inattendu, toujours partant pour créer un peu plus de chaos dans l'école de magie, et les prévenant lorsque le concierge, ou un professeur, risquait de venir les déranger. 

Un jour, les trois compères poussèrent leur chance jusqu'à lancer un concert improvisé en plein milieu de la Bibliothèque, reprenant la moitié du premier couplet de Creep, de Radiohead, jusqu'à ce que Mme Pince ne vienne les déloger en les menaçant des pires tortures s'ils ne cessaient pas tout de suite ce bruit infâme.

La passion pour la musique était née.

Il sort de Poudlard avec des notes ridicules à ses ASPICs. Il s'en fiche : il sait qu'il veut devenir une rockstar, un guitariste aussi connu que Jimi Hendrix. Sa mère voit ses plans d'un oeil circonspect, son frère se moque de sa naïveté. Ca ne fait rien. Avec Galaad et Gersende, il sait qu'il peut aller loin.

Les Chicken Nuggets, pourtant, sont loin de mobiliser les foules. Il faut payer les salles de concert, car qui serait assez fou pour miser sur ces trois jeunes gens au son qui s'assimile volontiers à des crissements d'ongle sur un tableau noir, trouver du nouvel équipement, payer les flyers, le futur manager (car ils en trouveront un, croix de bois, croix de fer !). L'argent devient bien vite un problème. Cela ne fragilise pas leur amitié, heureusement, mais il faut bien avouer que, par moment, le découragement se fait ressentir.

Si ses deux comparses commencent des études, Zeke, lui, ne peut supporter l'idée de s'enfermer à nouveau dans une salle de classe. Il se fait virer, au bout d'une semaine,de son nouveau travail dans son McDo préféré, à cause de ses innombrables retards. Audric lui dit qu'il est un raté, les disputes sont nombreuses, trop, pour la mère des deux garçons. Son havre de paix est Magdalene, auprès de qui il va se réfugier après une énième conflit avec son frère.

Sa mère est fatiguée, depuis quelques temps. Elle ne veut pas aller voir un médecin, elle est plus têtue qu'une mule et il est impossible qu'elle change d'avis : elle a décidé qu'elle va bien, donc, elle va bien, un point c'est tout. Un jour, pourtant, elle tombe dans l'escalier de bois qui relie "Death and compagnie" à leur appartement. Audric l'emmène en urgence à Ste Mangouste. Plus de peur que de mal, heureusement, mais les examens sont clairs : maman Wolfe doit se reposer. Pas de maladie à l'horizon, seulement la vieillesse qui pointe le bout de son nez, impossible de lutter, contre celle-là, malgré les essais infructueux de l'humanité depuis des millénaires.

C'est Audric qui prend la relève à l'agence. Il y travaille depuis toujours, de toute façon, et est probablement l'un des exorcistes les plus doués de sa génération. C'est un fils prodigue, Audric, un digne descendant des Wolfe. Là où ils passent, les fantômes trépassent (bon, pas vraiment, puisqu'ils sont déjà morts, mais vous comprendrez l'image). 

Et Zeke est toujours là, parasite vivant au crochet de sa famille, souffrant de son statut en silence. Certes, il est paresseux, mais il veut trouver quoi faire de sa vie, au moins pour contrer le mépris de son frère, puisque visiblement, sa carrière dans la musique n'est pas prête de se lancer tout de suite. Mais que faire, quand on a littéralement zéro compétence nulle part ?

Un an plus tard, le voilà à Atlantis, devenu exorciste, à son tour, plus par défaut qu'autre chose. Ce fut une torture, pendant plusieurs mois, de travailler aux côtés de son frère, toujours à le réprimander, à le faire se déplacer sur les missions les plus pourries, à lui déléguer de la paperasse auquelle il ne comprend rien : mais Audric a eu la fantastique idée d'ouvrir une succursale à Atlantis, il faut bien quelqu'un pour s'en occuper, et Zeke s'est porté volontaire, bien sûr. N'importe quoi pour s'échapper du Chemin de Traverse et de l'oeil de Sauron qu'est devenu son aîné. Ce fut difficile de convaincre le patron que de laisser son irresponsable de petite frère faire tourner le nouveau business, mais sa mère l'a convaincu de lui laisser une chance. 

Il travaille de manière bien... différente d'Audric. Au niveau des horaires, déjà : il n'ouvre l'agence qu'aux alentours de 15h, incapable de se lever avant, de toute façon, et ferme sur le coup de 23h. Cela rajoute au mystère de l'agence, qui a une atmosphère bien mystique pour une ville aussi moderne qu'Atlantis. Il choisit ses clients, aussi. Si son frère travaille essentiellement avec le Ministère, pour déloger les fantômes des endroits à risque lorsqu'ils n'écoutent pas leurs injonctions, lui préfère le contact avec les particulier. Malgré ça, l'affaire tourne. Son style n'est pas très orthodoxe, mais il marche.

Il se réveille vers 13h, c'est tôt, pour lui. Sa petite amie, Nuccia, est depuis bien longtemps partie travailler, et c'est seul qu'il s'étire entre ses draps. Il se lève, va prendre une verre de Coca dans son frigo, puis va se doucher. Un jour comme un autre. 
Il ouvre l'agence, dit bonjour à Charlie, le premier fantôme dont il s'est occupé en arrivant à Atlantis. C'est un esprit sympathique, qui hante un vieux tourne-disque ayant appartenu à sa veuve. Posant sa veste en cuir sur le porte-manteau à l'entrée, il s'assoit derrière le comptoir en posant les pieds nonchalamment sur le meuble. 
La journée est calme. Une grand-mère qui vient se plaindre d'un esprit-frappeur dans sa cave, qui s'avère en fait être une goule, "désolé madame, elle est un peu trop vivante pour que je m'occupe d'elle, celle là". Le reste, c'est surtout du passant curieux et de l'administratif. Zeke n'en peut plus, il doit sortir de là, et ferme plus tôt que prévu. 

Il se rend à l'UPA à pied, pour rejoindre Gersende et Galaad. Ils ont répétition, ce soir, un concert le lendemain dans une boîte miteuse à Manchester. Après les calins d'usage, et l'habituel check à la chorégraphie complexe qui finit par de grands mouvements tentaculaires des bras, ils transplanent directement jusqu'au hangar où se trouve leur matériel. Ils se baignent dans la musique jusqu'au creux de la nuit.

Le lendemain, Nuccia rompt avec lui. Il est triste, bien sûr, mais le jour d'après, il décrit à ses amis les magnifiques yeux bleus de son dernier client, son coeur battant à tout rompre.

Il est si incroyablement vivant, qu'il est difficile de croire qu'il côtoie des morts à longueur de journée.

Il ne s'attendait pas, en arrivant à Atlantis, à être confronté à tant de problèmes. 

Entre les sorciers qui ne veulent pas des moldus, et les moldus qui ne veulent pas des sorciers, difficile de s'épanouir, pour un sang-mêlé comme lui. Bien sûr, il ne se mêle pas de la politique, mais il est difficile de faire l'autruche bien longtemps, en particulier lorsque son agence est régulièrement taguée pour afficher un particulièrement rassurant "les sorciers n'ont pas d'âme" ou "Dieu refuse aux sorciers le paradis, et deviennent des fantômes". Il se contente de les effacer d'un coup de baguette magique, ne sachant pas trop quoi faire d'autre. 

Pendant l'attaque du dragon, l'agence est en partie touchée par les débris, et il doit batailler avec sa compagnie d'assurance car il n'est pas couvert, selon eux, pour ce genre d'attaque.

Le premier mai, il voit les animaux qui parcourent les rues et se réfugie, avec Galaad et Gersende, dans leur hangar. Ils branchent leurs amplis pour ne plus entendre les aboiements et autres cris de créatures. Il a peur, Zeke. Il ne le cache plus.